LA FERME MIRACULÉE

LA PRESSE, ÉDITION DU 25 OCTOBRE 2014, SECTION MAISON

VIOLAINE BALLIVY

CHELSEA — Quand les ingénieurs ont visité la ferme Hendricks pour la première fois, leur constat a été sans appel. Il faut démolir. Les fondations étaient à refaire, le toit menaçait de s’effondrer, les murs tenaient par on ne sait quel miracle. Et pourtant…

Tout raser pour repartir en neuf? Sean McAdam et Carrie Wallace ont plutôt envoyé se balader ces experts. Là où d’autres auraient imaginé un quartier centré autour d’un golf ou d’un centre commercial, ils rêvaient d’un développement centré sur une ferme pour proposer une définition différente de la vie à la banlieue.

Construite en 1905 à Chelsea, dans l’Outaouais, la ferme Hendricks n’a connu que 3 propriétaires au cours des 100 dernières années.

« Cette ferme est la plus proche d’Ottawa et joue un rôle de tampon entre la ville et les banlieues-dortoirs. Il était primordial de la préserver. » — Carrie Wallace

Avant même de commencer à penser à dessiner les maisons, les promoteurs se sont attelés à la retaper (ils ont d’ailleurs eu bien des maux de tête pour changer certaines poutres sans abîmer les nids des hirondelles qui nichaient dans la grange), puis ils se sont lancés dans la création d’un vaste jardin maraîcher. La certification biologique est venue ensuite. Leur production d’ail a d’ailleurs acquis une belle réputation ; ils approvisionnent plusieurs restaurants de la région. L’été dernier, ils y ont ajouté la culture de fleurs: ils comptaient alors plus d’employés pour travailler sur la ferme qu’au développement du projet immobilier.

La construction des maisons devrait débuter au printemps 2015, un peu plus tard que ne l’espéraient les promoteurs, ralentis par les démarches pour l’obtention des permis de ce projet peu commun. « Mais ce délai a du bon, il nous a permis de nous faire notre place dans la communauté », explique Carrie Wallace, d’ailleurs native de Chelsea.

De fait, la population a maintenant accès à la ferme pour y acheter des légumes frais biologiques (ce qui n’était pas le cas du temps des anciens propriétaires) et pour profiter des sentiers de randonnée tracés récemment sur les 38 hectares – sur un total de 107 – que les promoteurs ont rendus accessibles au public, immense terrain de jeu pour les enfants de Cheslea.

UNE VIE EN COMMUNAUTÉ

À ce jour, 300 unités sont prévues en 3 phases. La première en comptera 80 et est déjà vendue à près de 50 %. Le détail peut paraître anodin, mais il en dit long sur la philosophie des entrepreneurs de la ferme Hendricks: aucune de ces maisons n’aura de garage attenant. Ce n’est pas qu’ils aient une dent contre la voiture ; ils en possèdent chacun une, et pas des plus moches par ailleurs. Simplement, ils ne croient pas qu’elle devrait avoir autant d’importance dans l’organisation de notre vie et qu’elle peut sérieusement entraver les relations humaines.

« Nous ne voulons pas que les gens arrivent du bureau, stationnent leur voiture dans leur garage et entrent directement dans leur maison sans saluer leurs voisins, dit Sean McAdam. Si le garage est séparé de la maison, les quelques pas qu’ils auront à faire entre les deux leur donneront déjà une occasion de dire bonjour, de prendre des nouvelles, etc. »

C’est ainsi que des sentiers de marche sont aussi prévus pour relier les maisons entre elles et circuler jusqu’à la ferme, pour encourager à laisser la voiture de côté pour faire les courses de tous les jours. La disposition des maisons par rapport à la rue et entre elles a été repensée de manière à ce que les distances soient les plus courtes possible, encore une fois pour favoriser les piétons. Mieux : elles seront toutes dotées d’une galerie où, on l’espère, les résidants prendront plaisir à s’asseoir le soir.
Dans les secteurs où les maisons se feront face (plutôt que d’être face à la grange ou au parc de la Gatineau), on a calculé la distance de telle manière que l’on puisse voir ses voisins sur leur galerie, mais ne pas en distinguer l’expression du visage, histoire de conserver une certaine intimité. « Les gens devront se dire bonjour, mais n’auront pas nécessairement à engager une conversation », dit Carrie Wallace.

Il n’y aura pas de clôture entre les terrains: une autre frontière entre les gens que l’on ne souhaite pas voir ici.

On compte parmi les acheteurs des professionnels – Ottawa n’est qu’à 15 minutes en voiture –, des retraités, des familles et des fermiers qui ne veulent plus s’occuper de leur grande terre mais qui ne peuvent pas s’imaginer vivre ailleurs que près d’une ferme.

« Les gens n’auront pas à faire de corvée dans le potager, mais ils pourront y mettre la main s’ils le désirent. » — Carrie Wallace

Une phase commerciale devrait suivre à courte échéance avec quelques commerces de bouche (boulangerie, charcuterie, etc.) accessibles à pied, en complément de l’offre du village. À la suite de consultations publiques, on a d’ailleurs révisé partiellement cette phase du projet pour créer une place publique devant la ferme, ouverte sur le reste du village, où la population pourra se rassembler, organiser des fêtes, un marché, etc.

Tout s’imbrique: « On veut que, dans quelques années, les gens regardent notre projet et aient l’impression qu’il a toujours été là, qu’il a toujours fait partie du village de Chelsea », espère Sean McAdam. À suivre.